Regard boréal - l'histoire derrière la photo

ARTICLE #2 | 13 OCTOBRE 2022

Vous vous souvenez peut-être de ma fabuleuse et tant attendue rencontre avec les lynx du Canada de l’hiver dernier? Voici l’histoire derrière cette série de photos et ces moments que je n’oublierai jamais… (j'ai encore des frissons juste à y penser!).

Il y a quelques mois,  je décide de finalement me diriger au coeur de la forêt boréale dans le territoire d’Eeyou Istchee Baie-James, un endroit que je souhaite explorer depuis toujours. Je me déplace toujours avec ma van maintenant, c’est mon véhicule d’aventure et mon logement durant mes voyages photo. Ça me permet de dormir directement « sur le spot » et toujours avoir accès à un endroit chaud et sécuritaire en cas d’accident. À 6h du matin une froide journée d’hiver après un long périple de milliers de kilomètres, la fameuse van décide qu’il ne me restait plus que 10 démarrages avant d’officiellement ne plus démarrer. Pour ceux qui connaissent les systèmes antipollution de certains fourgons européens, vous savez à quel point cette fonction est complètement absurde et fâchante (le décompte des démarrages, pas le principe de ne pas polluer…. ça, je suis d’accord évidemment). J’épargne les détails, mais disons qu’à 8h de route du concessionnaire le plus près, creux dans un chemin forestier, ça génère une certaine angoisse. Constat : je dois quitter 5 jours plus tôt que prévu, avec une centaine d’images de lagopèdes au plus après avoir parcouru plus de 2000 km. Loin de ce que j’avais en tête comme voyage, disons... surtout après seulement 2 jours sur place.

Sur la route du retour, un peu déçu, je décide de faire tous les détours possibles afin de maximiser mes chances de croiser des animaux. Les chemins forestiers accessibles, les villages entourés de forêt, les rangs, n’importe quel endroit potentiel, j’y vais. Je me dis que tant qu’à retourner, je vais prendre tout le temps possible et espérer rencontrer la faune si riche et sauvage de cette région. Après tout, il me reste dix démarrages, mais tant que je roule, pas de problème. Chaque piste que je vois, j’arrête et je regarde; est-ce frais? Quel est l’animal qui est passé? Ai-je des chances de le trouver? Environ une cinquantaine d’arrêts et détours plus tard, je garde espoir, mais plus la journée avance, moins j’y crois et je l’accepte tranquillement.

Il ne reste que 45 minutes à la journée, et je continue d’observer. À un moment, je vois sur ma gauche des pistes que je reconnais immédiatement : Lynx du Canada. J’en aurai vu des centaines durant ces milliers de kilomètres, mais celles-ci sont fraiches, et surtout… nombreuses. Je continue de rouler sur un kilomètre avant de me dire : okay je dois aller voir; je fais demi-tour. J’analyse un peu la scène et je remarque qu’ils ont d’abord traversé la route, ils semblent s’être reposés juste en lisière, ils sont assurément quelques individus… et au moment où je lève les yeux vers la forêt, je croise le regard d’un des trois lynx présents. Une fraction de seconde que je n’oublierai jamais… mais ce n’est pas tout.

Je croise pour la deuxième fois de ma vie le lynx du Canada et non pas un, mais trois qui me regardent directement dans les yeux; à ce moment j’oublie tout ce qui se passe autour de moi. J’ai l’impression de rêver et j’ai peine à y croire, encore d’ailleurs. Après toutes ces années, je les vois enfin devant moi et ils sont magnifiques. Au premier coup d’oeil, ils sont si détendus et un peu curieux que je crois voir trois jeunes. Deux sont blottis l’un contre l’autre, et un troisième plus en forêt et plus discret. Je prends immédiatement des photos, en pensant que tout allait durer quelques secondes au plus, mais non. Ils restent, couchés, limite endormis et encore, je n’en reviens pas.

J’arrive un peu sur terre et je commence à analyser la situation avec plus de recul: il s’agit d’une mère avec un jeune, et un mâle qui complète le trio, c’est lui qui est plus caché en forêt. Je continue de me demander « Mais pourquoi… pourquoi restent-ils immobiles?! ». Ce sont des animaux si furtifs et difficiles à observer… Le soleil se couche et le temps file… la pénombre s’installe et je les vois à peine dans l’ombre de la forêt boréale. Aurai-je le privilège de les revoir demain? Peut-être pas. Je dépose l’appareil photo et je m’assois, devant eux. Je ne me souviens pas avoir autant savouré un moment que celui-ci, de toute ma vie. Je termine ma soirée avec eux jusqu’à la noirceur, avant de retourner à ma van. Je me remets doucement de mes émotions et je pense ensuite au fait que je suis sur la route, et que je dois vraisemblablement poursuivre mes déplacements vers la ville. Dans ma tête, je me dis «okay je n’ai plus que quelques démarrages, mais de possiblement revoir la famille demain, première heure, ça vaut probablement deux démarrages en moins, non? ». Oui, définitivement. Je me stationne une centaine de mètres plus loin dans une petite entrée sécuritaire et publique.

Je tente de relaxer, m’endormir, mais je ne cesse de penser à cette rencontre. À ce moment, 19h, ils sont peut-être couchés au même endroit, ou déjà à des kilomètres d’ici, je saurai demain. Je dors à peine et le cadran sonne, il est 5h45, je me lève aussitôt, j’enfile mes vêtements chauds et je débute l’exploration dans un sentier juste derrière la lisière sans trop d’attentes. Je venais tout juste de regarder s’ils étaient au même emplacement, mais non… Après une heure à observer de vieilles pistes, je reviens par la route et passe devant l’endroit où je les ai vus hier. Il ne reste qu’une cinquantaine de mètres avant d’arriver à mon véhicule un peu déçu, lorsque je vois le jeune sortir de la forêt… 

Observer les lynx durant plusieurs dizaines de minutes, c’est un rêve, mais les voir deux jours de suite, c’est inespéré. Je m’installe doucement, et je laisse le temps passer en le regardant dans sa routine. Je prends des photos, mais beaucoup moins que la veille. Il se couche tout près et je comprends un peu plus tard pourquoi : c’est le premier endroit qui a reçu la lumière du soleil. Les rayons atteignent son pelage, un dernier regard furtif et un semblant de clin d’oeil d’au revoir, il ferme les yeux en me regardant une dernière fois, et je décide de quitter à ce moment précis. 

Merci d'avoir pris un peu de votre temps pour lire ce récit d'aventure, n'hésitez pas à me partager vos commentaires dans la section ci-bas. Vous trouverez aussi différents liens vers des produits qui comportent des photos de cette rencontre, dont mes deux calendriers 2023, juste ci-dessous. Merci pour tout.

Jean-Christophe Lemay

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