par Jean-Christophe Lemay mars 11, 2025 11 Commentaires
J’ai longtemps hésité à partir de nouveau sur le territoire d’Eeyou-Istchee Baie-James cet hiver. Non pas en raison de l’aventure de l’an dernier telle que racontée dans mon livre Taïga, mais surtout parce que je considérais que les images obtenues durant ce périple allaient être difficiles à surpasser. Comment vivre plus d’émotions que durant un après-midi complet à photographier une famille de lynx du Canada ? Ou encore lorsque 20 caribous foncent directement vers moi ? Puis, la distance à parcourir entre Rimouski et la route Transtaïga est elle aussi non négligeable. Plus de 20 heures de voiture et tout près de 2000 km, en partie sur des chemins très isolés. Malgré tout, une espèce qui est rarement, voire jamais, observée dans cette région m’a convaincu de prendre le volant et repartir à l’aventure.
Les prochains jours s’annonçaient froids, très froids. Le mercure frôle déjà les -25 degrés Celsius et je ne suis qu’à Chibougamau, encore plusieurs centaines de kilomètres au sud de mon objectif. Évidemment, il est dorénavant impossible pour moi d’avoir la conscience tranquille quant à la fiabilité de ma fourgonnette. Je sais que des températures extrêmes sont difficiles pour la mécanique de celle-ci, mais je prends le risque… encore. Soyez sans crainte, je ne parlerai pas plus de cette relation amour-haine avec mon véhicule d’expédition. À destination, je fais un premier tour de repérage rapide. Les renards roux sont plus présents que jamais, et encore aussi peu farouches que dans mes souvenirs. Il faut comprendre qu’ici, la plupart des travailleurs nourrissent ces adorables mammifères. Sans être en faveur de cette pratique, je comprends la tentation. Comment résister à ce regard attendrissant ? Je profite de la proximité pour capter plusieurs clichés.
Les 4 premiers jours sont riches en rencontres, mais pauvres en photo. Les lagopèdes des saules sont présents par centaines et les tétras du Canada par dizaines. Les renards roux sont présents quotidiennement. Je croise le chemin de non pas un, mais cinq lynx différents dans l’espace de quelques dizaines de kilomètres. Contrairement à mes face-à-face habituels, ceux-ci sont extrêmement peureux et malgré tout mes efforts, ne me laissent pas d’occasions photographiques. La nature est ainsi, et je préfère la voir sauvage qu’apprivoisée. Malgré toutes ces rencontres, il n’y a toujours aucun signe de présence de l’animal convoité. Seraient-ils tous déjà de retour plus au nord ? Ont-ils tous été trappés ou chassés en quelques semaines seulement ? Ma motivation s’effrite doucement et je pense déjà à un retour au bercail.
Les longues nuits nordiques m’offrent leur plus beau spectacle : des aurores boréales aux couleurs si vives que l’on perçoit le vert et le rose à l’œil nu. Un baume pour mes longues heures de recherche en vain. Mes chaussettes et mes mitaines chauffantes n’arrivent plus à compenser les -41 degrés Celsius ressentis par tout mon corps. Je n’arrive pas à quitter pour me réchauffer, tout est si beau. En marchant en bordure d’un lac complètement gelé à la recherche de la meilleure composition possible, je remarque le passage d’un canidé sur celui-ci. Des empreintes trop petites pour un loup, trop isolées pour un chien, et peut-être même trop petites pour un renard roux. Serait-ce un signe de rester quelques jours de plus ?
Le lendemain en soirée, je refais le même chemin que tous les jours, en direction de mon « spot » pour dormir. Un stationnement qui offre une vue sur un des nombreux barrages hydro-électriques de la région. Pas exactement naturel, mais très tranquille et sécuritaire, tout ce dont j’ai besoin. La pénombre est déjà presque complètement installée lorsque j’aperçois un animal en bordure de route au loin. Je tente maladroitement d’attraper mes jumelles pour identifier celui-ci, mais je ne suis pas assez rapide. Je patiente quelques minutes. Puis encore. Il fait dorénavant presque complètement noir. Au moment de mon départ, le voilà de nouveau, encore plus près. Cette fois-ci, je n’ai aucune hésitation. J’observe à l’instant mon tout premier renard arctique à vie.
Ses yeux orangés m’apparaissent profondément noirs. Son regard est troublant et hypnotisant. Il semble tout aussi étonné de me voir, sans être apeuré pour le moment. Son pelage hivernal est absolument magnifique. Un blanc teinté de crème, « gonflé » pour affronter le froid polaire. Plus court sur pattes que son cousin roux, il paraît parfaitement adapté à cet environnement nordique si rude. — J’aimerais en dire autant pour moi. — Il ne reste qu’une faible lueur à l’horizon, mais c’est suffisant pour illuminer le contour de cet animal d’une beauté inouïe. Une voiture nous passe à toute allure et le renard disparait aussitôt. Un moment qui semblait éternel, mais qui n’aura duré que quelques dizaines de secondes.
Suite en partie 2…
Jean-Christophe
mars 11, 2025
Merci pour cette belle première partie qui nous plonge avec toi dans ton aventure !
par Jean-Christophe Lemay mars 20, 2025 5 Commentaires
Les quelques dizaines de secondes passées à plonger mon regard dans celui du renard arctique, mon tout premier, auront suffi pour réanimer ma motivation. Dès l’aube, en fait bien avant, je suis déjà prêt à affronter le froid pour partir à sa recherche. Comme il semble avoir des habitudes plus nocturnes, j’adopte le même comportement pour maximiser mes chances de le croiser à nouveau. Pas de chance ce matin là.
par Jean-Christophe Lemay décembre 29, 2023 9 Commentaires
par Jean-Christophe Lemay octobre 21, 2023 10 Commentaires
Jean-Christophe Lemay
Auteur
Photographe de nature professionnel basé à Rimouski, au Québec.